RTSL 30.09.2025 TAN TAN
- Jean-Claude Nivet

- Aug 11
- 6 min read
Updated: Sep 13
RTSL 2025
TAN TAN
DAKAR - CASA

Je profite de notre arrêt à Tan Tan, après avoir survolé une dernière fois Cap Juby - Tarfaya aujourd'hui pour porter à votre connaissance quelques petites anecdotes que nous content André Dubourdieu, le premier chef d'aéroplace de Juby, pour rappel. L'escale de Cisneros ne pouvant se développer par le refus des Espagnols, Juby, bien qu'excentrée entre Dakar et Agadir, devient "la plaque tournante" du Casa - Dakar, entre les pilotes "descendants" basés à Casablanca et les pilotes "montants", basés à Dakar. Ce soir, ce sont les pilotes Reine et Pivot qui sont avec le chef d'aéroplace ... :
ANDRE DUBOURDIEU
SOUVENIRS DE CAP JUBY

- LA PEUR –
Cap –Juby Rio de Oro 1925
"... Hormis la précaution imposée de ne pas s’éloigner à plus de cinq cents mètres du fort, on ne ressentait pas à Juby une impression de danger. Les indigènes, nomades ou campés aux environs ne paraissaient pas plus inquiétants que ceux que l’on côtoyait au Maarif à Casablanca ; ils venaient à la factorerie où ils échangeaient leurs douros asanis contre le sucre, le thé ou les cotonnades. Le soir venu, nous faisions, pour marcher un peu, le « paseo » en longeant la plage aussi tranquillement qu’on se fut promené sur celle de La Baule."

Pourtant … Un soir, nous achevions de dîner avec les pilotes Reine et Pivot dans la salle de notre maisonnette adossée au fort. Je faisais face à la fenêtre ouverte dont le volet était entrebaîllé. Quelles antennes me transmirent le message qui me fit lever à ce moment les yeux ? Et je vis le canon d’un fusil, un de ces anciens fusils de guerre qui arment beaucoup d’indigènes du bled ; il s’insinuait dans la fente, ouvrait sans bruit le volet et commençait à s’abaisser.
Je demeurai figé mais je poussai le genou de mon voisin de droite ; les réflexes de Pivot jouaient prodigieusement vite : son regard ayant suivi la direction du mien, dans le même moment une chaise lancée contre notre lampe à gaz de pétrole la fracassait en effaçant du coup l’intérieur de la pièce plongé dans l’obscurité.
Le tout n‘avait pas duré six secondes. Nous nous précipitâmes au dehors, raflant les armes au passage. Naturellement on ne trouva personne ; les sentinelles du fort alertées firent une ronde, un soldat tira sur une ombre qu’il croyait avoir aperçu. On ne sut jamais rien.
N’était-ce qu’une mauvaise farce, mais de qui ? Les Officiers espagnols ne se seraient pas livrés à semblable plaisanterie en région dissidente.
Comme toute histoire de ce genre que l’on ne parvient pas à éclaircir, celle-ci laissa, quelques jours durant traîner un malaise. Et, lorsque la nuit tombait, nous fermions portes et fenêtres.

LE FORT DORA ! A 45 MINUTES DE VOL DE JUBY...

M’Dora
Dans le Sud, l‘éloignement de Toulouse et les détails nécessaires pour recevoir une réponse à une question posée, le laconisme des messages radio et l’impossibilité de diffuser certains textes sur une longueur d’onde très écoutée nous fournissaient de bonnes raisons pour ne pas toujours faire part de nos desseins à la Direction et notre tendance à nous affranchir de l’avis directorial s’accusait d’autant plus que lorsque nous pouvions prévoir une réponse qui ne favoriserait pas nos petits projets. On prenait donc l’initiative dont il était temps de rendre compte ensuite par une note ou un rapport.
Les indigènes nous parlaient souvent d’une oasis située à l’intérieur, à 80 kilomètres au Sud ou au Sud-Est de Juby, avec un point d’eau et un fort M’Dora ?? Tout cela fort vague et chez les Maures le réel et les fruits de l’imagination se mêlent avec facilité. Mais, ma curiosité éveillée, je décidai d’aller voir.
Picard, alors chef mécanicien de l’escale me choisit un avion au moteur de tout repos et tint à faire partie de l’expédition. Un Maure qui travaillait au hangar comme manœuvre prétendait connaître M’Dora ; il nous guidera. Le seul civil espagnol de Juby, gérant de la factorerie, me demanda de se joindre à nous ; comme il ne pesait pas plus de soixante kilos, je l’emmenai. Nous emportions une roue de rechange, une caisse d’outillage et d’accessoires, trois touques d’eau, quelques provisions et pains de sucre. Picard avait aussi glissé quelques armes.
Une fois en route, le Maure m’indiqua la direction par un geste large qui balayait un bon quart d’horizon. Je pris donc un cap approximatif. La chance m’aida ainsi que la bonne visibilité. Je trouvais ce que je cherchais après quarante cinq minutes de vol. Oh, ce n’était pas grand comme une capitale et l’oasis ne semblait pas plus verdoyante qu’étendue, mais on ne pouvait pas nier, il y avait un fort, enfin une construction.
Je décrivis des cercles en observant les lieux avec une attention concentrée et je scrutai aussi le bled aux environs. J’avais parlé d’une simple reconnaissance sans atterrissage, mais tout semblait si parfaitement désert, aucun signe de vie, une bande de reg bien orientée dans le sens du vent me tentait en étalant sa surface unie d’un sol qui ne pouvait qu’être résistant…
Réduisant donc le moteur, je me retournai et lu l’acquiescement sur les visages de mes trois compagnons. Donc je ne remis pas les gaz et je posai mon Breguet sur un sable idéal entre le puits et le « fort ». Gardant le moteur au ralenti et après avoir orienté l’avion pour un décollage immédiat, nous sautâmes à terre, et l’exploration commença.

Le point d’eau était assez abondant ( pour un puit saharien bien entendu ) et son humidité permettait la vie de quelques arbustes dont la ramure ne dépassait pas trois mètres. Telles étaient les proportions de l’oasis annoncée : tout est relatif évidemment ! Sur le sol nous vîmes tout de suite le grand squelette d’un chameau, presque dans sa forme, ainsi que divers ossements épars, blanchis par le soleil et par ce frottement du sable qui court sans fin avec le vent. Restait le prétendu fort : il s’agissait d’une construction indigène rectangulaire assez vaste, bien construite en pisé, flanquée de quatre tours aux angles, pyramides tronquées hautes peut-être de cinq ou six mètres, pas d’autre ouverture qu’une porte étroite et basse ménagée dans l’un des murs. Était-il prudent de la franchir ? Malgré quelque émotion, la curiosité l’emportant, nous entrâmes, fusils ou pistolets attentifs, pour nous trouver dans une cour intérieure ; des sortes de niches étaient ménagées dans l’épaisseur des tours : elles ne contenaient rien. Sans nous attarder nous sortîmes ; on tira trois ou quatre photos, on prit le temps de couper quelques branches de verdure afin de rapporter à Juby ses témoins irrécusables. Et en route. Tout s’était passé le mieux du monde sous le signe de la facilité.

Point question de garder secrète notre équipée, car tout se sait au désert et prodigieusement vite. Quelques Maures protestèrent en grognant contre cette incursion, on parla même des lieux saints interdits aux Roumis… On nous rapporta du moins de tels propos et une huitaine de jours plus tard nous apprenions que deux Maures, deux pauvres isarguïn sans fusil n’avaient pas perdu un seul de nos gestes : ils crurent voir le Diable ou quelque chose dans le genre et, gris de peur, ils se dissimulèrent, restant cachés tout le temps de notre visite. Ils s’étaient rendus à Juby pour y conter la diabolique histoire.

Je n’étais pas seul à me montrer curieux : j’ai conservé une lettre au papier jauni que l’enseigne de Vaisseau L.M. Chassin m’adressa environ à cette époque. Il servait alors comme officier de l’aéronautique navale et rêvait d’une expédition extrêmement osée qui devait le mener à Smara, ville indigène d’où aucun Européen n’était jamais revenu. Il me demandait si je connaissais la position géographique exacte de Smara, sise aux confins de la Mauritanie et du Rio de Oro, les cartes n’étant pas d’accord. Le stade des projets et études ne fut jamais dépassé ; tant mieux sans doute.
Depuis, bien sûr, sillonné de voies de communications, le Sahara lui-même n’a plus de mystères.

LES DOCUMENTS DU JOUR









