RTSL 28.09.2025 SAINT LOUIS
- Jean-Claude Nivet

- Aug 11
- 12 min read
Updated: Sep 3
RTSL 2025
SAINT LOUIS
DAKAR - CASA

IL FAUT SAUVER LA LIGNE
DIDIER DAURAT SUR LE CASA DAKAR
Nous voici sur le chemin du retour. Nous quittons Dakar pour Saint-Louis, la raison même de notre passion, de notre engagement : "Le Toulouse-Saint-Louis. Après cette journée de"repos", la visite du bas-relief à la mémoire de Jean Mermoz et de ses Compagnons en la cathédrale de Dakar, nous revoilà en cette fin de juillet 1925. Jean Denis vient de quitter la Ligne, sa décision est prise ainsi que Drouin et sans doute quelques autres, départs définitifs vers d'autres cieux, d'autres futurs ou simples changements de secteur pour d'autres dont Daurat a bien besoin aussi. Alors, dans un esprit rapide à penser, à agir, de nouveaux pilotes arrivent sur le Casa-Dakar. Des jeunes pour la plupart, au mental fort, prêts à montrer leur valeur aux Anciens et surtout au chef d'exploitation dans son bureau de Montaudran, ce sont eux dont l'Histoire retiendra les noms ... ; Enfin dans son bureau D. pas certain ? ... Voilà ce que reçoit Didier Daurat en ce 22 juillet 1925 à Toulouse :
« Suite incident Ville et Rozès, autorités espagnoles envisagent interdiction traversée Rio de Oro – Stop – Pilotes refusent continuer service – Stop –
Signé Roig ».
« Pris bonne note de votre message – Stop – Prochain courrier sera assurer par Daurat – Beauregard – Stop – Rejoins immédiatement Casablanca – Stop –
Signé Daurat ».
Dans son livre "La Ligne", Jean-Gérard Fleury a interrogé beaucoup de témoins de ces évènements et voici la façon, assez fidèle et réaliste je pense, dont il nous relate la situation:

"L'aventure dramatique vécue par Ville et Rozès survenait dans une atmosphère mauvaise.
Depuis les origines de la ligne, il était de tradition de grommeler et de maugréer aux escales. Mais dans l'action, les pilotes rivalisaient de cran, déployaient un esprit d'initiative, un dévouement, une ténacité qui dépassaient l'échelle des ordinaires valeurs humaines.
Cette fois, le mécontentement se développa dans le climat fiévreux des postes sahariens et des brousses tropicales. Il exprimait, moins qu'une protestation intéressée un sentiment surexcité de l'injustice :
— Latécoère lésine pour sauver notre peau... qu'il paie notre travail à sa valeur, répétaient les hommes.
Une sorte de déroute morale s'étendit de Casablanca à Dakar. Ce n'était pas une panique : jamais la peur n'avait fait hésiter les pilotes, mais un désarroi complet de l'esprit et du coeur. Ils donnaient tout leur courage à une œuvre. Latécoère n'y voyait-il qu'une affaire ?
Un mot d'ordre courut le long de la côte africaine. Les équipages transporteraient une dernière fois le courrier de Dakar à Casablanca, mais ne repartiraient plus sans de nouvelles garanties.
EN FAIT, C'EST LE COLONEL BENZ QUI ARRÊTE LA LIGNE

L'austère Daurat reçut un choc, dans son bureau de Toulouse lorsqu'il déchiffra le télégramme envoyé de Casablanca par Roig : "Pilotes refusent partir".
Il relut la phrase sacrilège et appela Beauregard.
— Faites sortir un avion, nous descendons à Casa, dit-il.
— Mais, je n'ai pas la météo.
— Dépêchez-vous, gronda le chef, nous devons être là-bas ce soir.

A la tombée de la nuit, leur appareil se posa sur l'herbe de la piste marocaine, brûlée par l'été. Roig s'avança vers eux, le visage défait.
— Le courrier de Dakar a disparu, annonça-t-il. Les deux Bréguet ont été pris dans le vent de sable après Juby. Des Pallières aveuglé a perdu son compagnon Dubourdieu. Il est parvenu à grand-peine jusqu'ici. Nous avons attendu en vain son coéquipier. Nous avons téléphoné à Agadir, personne ne l'a vu.
Daurat ne répondit pas. La disparition de Dubourdieu, un des meilleurs pilotes, ajoutait une angoisse à ses lourds soucis. Il s'avança à pas lents vers les hangars, examina les machines et dit aux mécanos :

Soyez prêts demain matin. J'emmènerai le courrier.
Il passa ensuite au bureau et avisa un pilote considéré, suivant une expression imagée du vocabulaire des aérodromes, comme peu "gonflé".
— Vous viendrez avec moi à Dakar, ordonna-t-il d'un ton sec.
— Mais... on a besoin de moi, ici.
— Vous vous débrouillerez, je vous emmène.
Daurat savait que l'homme, affecté à un poste sédentaire, avait contribué à aggraver la mauvaise humeur des équipages de Casa-Dakar...
Sans prêter attention à ses protestations, le chef fréta une voiture pour Rabat et obtint un long entretien du maréchal Lyautey. Il lui rapporta le détail de l'incident Ville et Rozès, lui signala la disparition de Dubourdieu et sollicita un appui énergique de la Résidence générale contre les entreprises des dissidents.
Arrêtez-vous à Tiznit, dit le maréchal, Je télégraphie mes ordres au capitaine Rousselle. Présentez mes salutations au colonel Benz et dites-lui qu'il peut vous livrer passage sans crainte : toute l'armée française vous soutient.
A cette époque, le prestige du vieil Africain agissait au delà de nos frontières. Daurat revint à Casablanca, les mâchoires serrées. Encore une fois, il tiendrait bon. La pacification du Sud-Marocain, l'extinction de la dissidence dans le Rio de Oro, exigeraient des années. Devrait-il interrompre l’œuvre et attendre, pour la poursuivre, qu'elle devint de tout repos ?
Jean Gérard Fleury
JOSEPH ROIG
« POUR QUE PASSE LE COURRIER »
Le lendemain soir à la tombée de la nuit l’avion, piloté par Claude Beauregard, se pose sur le terrain de Camp Cazes, l’aérodrome de Casablanca. Dès sa descente d’avion Daurat admoneste vivement Joseph Roig et le responsable de l’escale de Casablanca, leur reprochant de n’avoir pas su prendre leurs responsabilités dans cette affaire. Il apprend d’autre part que l’on est sans nouvelles de Dubourdieu, que Des Pallières a perdu de vue dans un vent de sable avant l’escale d’Agadir. Le soir, Daurat se fait conduire à Rabat pour y rencontrer Lyautey et ce dernier l’incite à se rendre à Tiznit, dernier poste militaire français à la limite de la zone de dissidence.
A Tiznit, une bonne nouvelle parvient à Didier Daurat : Dubourdieu est sain et sauf, tombé en panne au sud d’Aglou entre les mains d’un groupe de nomades fort heureusement pacifiques. En compagnie du Capitaine Rousselle, commandant le poste de Tiznit, Daurat part le lendemain récupérer le pilote et rencontre à cette occasion le « Caïd » qui dirige les principales tribus insoumises du sud marocain, de l’enclave espagnole d’Ifni et du nord du Rio de Oro. Il lui propose un accord aux termes duquel une indemnité sera versée aux tribus prêtant assistance aux équipages obligés d’atterrir sur leur territoire, si elles s’engagent à restituer aux Autorités le personnel et le courrier qu’il transporte. Plusieurs accords de ce type sont finalement conclus dans cet esprit.
Par ailleurs, le Capitaine Roussel suggère à Didier Daurat qu’à l’avenir chaque courrier emmène un interprète chargé, en cas de panne dans le désert, d’établir le contact avec les tribus locales et de leur rappeler éventuellement les termes des accords. De retour à Casablanca…Deux avions décollent pour le Sud, l’un piloté par Claude Beauregard, avec Didier Daurat comme passager, l’autre piloté par Marcel Reine.
A Juby, Daurat rencontre le Gouverneur et lui remet une lettre du Maréchal Lyautey.

"Le pilote regagna Tiznit avec Daurat et le capitaine et, le lendemain, il prit place à bord du Bréguet XIV de Reine. Le voyage fut mouvementé. La brume, l'éternelle brume, dont on commençait à observer la redoutable fréquence, voilait la côte fauve.
Reine et Dubourdieu parvinrent à distinguer le fort de Juby à travers les traînées blanchâtres. Après leur atterrissage, ils attendirent, anxieux, Beauregard et Daurat pendant plus d'une heure. Enfin, une ombre glissa avec un sifflement dans le ciel laiteux.
Le colonel Benz, vieux soldat que cette obstination ne laissait pas indifférent et qui avait jusqu'alors oscillé entre la rudesse bourrue et la courtoisie castillane, opta définitivement pour une cordiale hospitalité.
— Ce sera là une source inépuisable d'ennuis administratifs, confia-t-il à notre représentant Cervera, mais ces bougres de Français vont donner de l'intérêt à notre vie solitaire.
Il invita ce soir-là tous les officiers du fort à un repas pantagruélique qui épuisa les réserves amenées au début du mois par le vapeur des Canaries.
Et de ce jour, à l'arrivée de chaque. avion, le drapeau espagnol, hissé au sommet des murs de la Casa de Mar, claqua au vent marin."
JG Fleury
A Port Etienne, Didier Daurat est accueilli par Pierre Deley, le chef d’aéroplace. Ce dernier, aidé des mécaniciens, a monté une guitoune de nomades sur la piste de sable dur où se posent les avions. Ouvrant largement les bras pour désigner cette mince langue de sable, il s’amuse à prendre un ton emphatique, accompagné d’une mimique significative, et annonce à Didier Daurat : »Voici notre aéroport ! ».

Le directeur de l’exploitation connaît bien Pierre Deley. Il apprécie son sérieux, sa compétence et son courage, mais également son notoire sens de l’humour. Il esquisse alors un sourire – ce qui, il faut bien le dire, lui arrive assez rarement – et garde le silence. Le journaliste et pilote Jean-Gérard Fleury, qui a raconté cette anecdote dans l’un des ouvrages les plus complets écrits sur l’épopée de l ‘Aéropostale, porte à cette occasion sur Pierre Deley une appréciation élogieuse digne d’être citée :
« Celui-là, avec son humeur égale, son énergie sans fissure, n’offrait aucune prise aux dépressions, aux névroses, que les journées torrides succédant aux nuits froides apportent leurs fièvres aux organismes déréglés. »
Quel bel hommage de la part de l’un de ses camarades !
A Dakar, à cette période, la ville est à demi-déserte. Femmes et enfants sont renvoyés en France. En 1925, la fièvre jaune régnait. Elle abattait les Européens en pleine rue, ravageait Dakar, quartier par quartier, avec une macabre et méthodique précision. Tout au long des nuits étouffantes, les habitants, angoissés, cherchaient en vain le sommeil sous leur moustiquaire, écoutant le râle obsédant d'un condamné.
Le terrain d'aviation d'Ouakam était un marécage où croissait une subite et plantureuse floraison d'herbes grasses. Rangés dans le hangar, les avions de l'armée, le capot emmitouflé dans les housses, attendaient la fin des six mois d'hivernage.
Lorsque Daurat, Beauregard et Reine sautèrent de leurs appareils à demi embourbés, les militaires se chargèrent de rabattre leur prétention :
— Nous connaissons le pays mieux que vous, dirent-ils. On ne peut pas établir ici une circulation régulière pendant la mauvaise saison. C'est idiot. Les trois hommes écoutèrent en silence. Ils ne bronchèrent pas sous les sarcasmes. Lécrivain, Gourp, Denis et les autres ne s'en étaient pas émus au cours des premiers voyages. Eux-mêmes, ils venaient de se frayer une route à travers les piliers noirs des orages. Ils connaissaient leurs compagnons. Ce que d'autres avaient réalisé ne pouvait plus être considéré comme impossible, ils passeraient.
Le plus malaisé, songeaient-ils, sera de persuader le gouverneur général, qui doit s'en rapporter à la compétence de son chef d'aviation militaire. Et ils cherchaient des arguments propres à convaincre. Pendant tout son séjour à Dakar, Daurat, au cours des réceptions, des visites protocolaires, harcela M. Carde de raisonnements têtus.
— Après tout, dit ce dernier, vous êtes aviateur. Vous savez ce que vous faites... Continuez à exploiter votre ligne.
Cette victoire obtenue, Daurat s'arrêta sur le terrain marécageux de Saint-Louis, où il faillit s'embourber, dégusta le civet de chat-tigre qu'un chef d'aéroplace lui offrit, déjà atteint par le goût de la bizarrerie que le soleil trop ardent fait éclore chez certains, répondit aux objections du gouverneur du Sénégal, à celles du gouverneur de la Mauritanie, et se rendit chez le colonel Gaden, le pacificateur des nomades Maures.
— Prévenez toutes les tribus amies, lui demanda-t-il, leurs secours seront rémunérés. Des pannes sont possibles.., Il faut à tout prix sauver nos équipages.
Joseph Roig

LE FALCON II
Et demain en remontant sur Cisneros, près du Cap Barbas, la baie de Saint-Cyprien …
A peine Didier Daurat de retour à Toulouse, de nouveaux incidents sur la Ligne Casa-Dakar se produisent, certains heureux d'autres plus tristes ; pour notre étape du jour jusqu'à Dakhla-Cisneros, en survolant le Cap Barbas et la baie de Saint-Cyprien, pourquoi ne pas jeter quelques fleurs en souvenir des Hommes du Falcon II et de leurs sauveteurs : Gourp, Deley, Collet et le mécanicien Sirvin. Mais laissons JG Fleury nous raconter cette histoire :
"Alors une épopée commença dont les épisodes allaient ressusciter, au XXème siècle, les héros des romans d'aventure chevaleresque et composer pour l'histoire, suivant la magnifique expression de J. Kessel "la chanson de geste de notre temps"
Trois semaines après l'aventure de Ville et Rozès, le 11 août 1925, Gourp pilotait le courrier de France vers Port Étienne et Dakar, et longeait la côte suivi de son coéquipier. Il avait dépassé Cisneros. Les plages succédaient aux plages : il contemplait le jeu des vagues dans les anses désertes et comparait leur configuration aux indications de sa carte. Il atteignit le cap Barbas avec contentement. "On approche", se dit-il, en constatant qu'ils avaient traversé la plus longue partie du Rio de Oro. Tout à coup, il aperçut une masse noire sur une bande de sable de la baie de Saint-Cyprien. C'était un vapeur échoué. L'aviateur vira et remarqua sur la plage une tente et un mât ou flottait le pavillon français. Des hommes s'agitaient et faisaient des signaux de détresse. Gourp transportait le courrier et l'avion était trop chargé pour qu'un seul passager pût y prendre place.
— Inutile de m'arrêter et de risquer de casser mon appareil, pensa le pilote. Je préviendrai Deley à Port-Étienne.
Il poursuivait sa route lorsque après vingt minutes de vol, c'est-à-dire à une cinquantaine de kilomètres des naufragés, il repéra une caravane suspecte. Trente Maures, montés sur de fins méhara, armés sur le pied de guerre, s'avançaient en direction de l'épave.
— Il n'y a pas de temps à perdre, dit Gourp à Deley, en arrivant à Port-Étienne. Le rezzou ne tardera pas à atteindre les naufragés. Je dois poursuivre ma route vers Saint-Louis, mais toi, tu ferais bien de les tirer d'embarras au plus tôt.
Quelques instants plus tard, un émissaire du capitaine Laloge, commandant le cercle de la baie du Lévrier, apportait un message à Deley.
— Une goélette espagnole vient de débarquer huit hommes du cargo français Falcon II qui s'est échoué au cours de la tempête. Après le naufrage, leur commandant les a envoyés à pied en direction de Port-Étienne. Ce ne fut que après deux jours d'une marche épuisante, qu'ils aperçurent l'embarcation qui longeait la côte. Ils ont été recueillis à bord et ils réclament des secours pour leur chef et leurs compagnons dont la plupart sont blessés.
— Bien, dit Deley. Je vais voir cela avec Collet.
Il s'en fut trouver son camarade qui, en proie à un accès de paludisme, grelottait, blême, entre ses couvertures, malgré la torride chaleur saharienne.
— Nous partirons demain matin, dit ce dernier. J'essaierai de piloter quand même.
Les deux aviateurs, armés de fusils à répétition, et accompagnés du mécanicien Sirvin, gratifié d'un mousqueton, décollèrent le 12 août, sur deux Bréguet XIV.
Une heure un quart leur suffit pour atteindre le rezzou. Deley et Collet, volant de conserve, s'adressèrent un signe qui voulait dire :
— Il était temps !
En effet, à quelques kilomètres de là, apparut la tente des marins.
Les aviateurs cherchèrent une bande de sable humide et dur. Deley se posa le premier et fit signe à Collet que le sol était assez ferme.
Le commandant du Falcon II accourut. Sans perdre une seconde, il aida à hisser les invalides dans la carlingue. Les moins atteints s'insinuèrent dans les coffres à courrier des ailes, où ils durent rester recroquevillés.
Cette manœuvre avait été rapide, mais les Maures avaient accéléré leur marche, et, derrière les dunes, d'inquiétantes silhouettes se profilèrent.
Sirvin les mit en joue et les tint en respect pendant un moment. Collet décolla avec sa cargaison d'hommes. Deley cria au mécanicien :
— Vite, venez...
Les deux avions disparurent dans le ciel. Les Maures n'avaient pas eu le temps d'agir.
Deley fut définitivement éclairé sur leurs intentions lorsque au courrier suivant, le pilote lui raconta qu'il avait remarqué la tente incendiée et les débris du naufrage pillés et dispersés."
Jean-Gérard Fleury
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LYAUTEY PAR NOËL DORVILLE
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Dans le cadre de cet anniversaire des cent ans du Casa - Dakar, je souhaite vous faire découvrir des illustrations rares, particulières et passionnantes sur notre Histoire.












