RTSL 25.09.2025 NOUAKCHOTT
- Jean-Claude Nivet

- Aug 10
- 18 min read
Updated: Sep 18
RTSL 2025
NOUAKCHOTT


DAKAR – CASA
1ère Partie
Cette année particulière nous faisons escale à Nouakchott. Nous nous réunirons sans doute à l'Alliance française pour une conférence avec les Autorités de la ville. Nous espérons projeter les photographies de l'album de famille de Pierre Deley et échanger des témoignages.
Demain nous serons en route pour Dakar, une surprise de ce 41ème Rallye Aérien Toulouse-Saint-Louis du Sénégal. Nous avons une dernière carte du Casa-Dakar à vous présenter et quelques documents, bien sûr. Par les témoignages de Jean Denis et Robert Collet, nous allons découvrir les coulisses du premier courrier Dakar-Casablanca. c'est innovant et passionnant dans la rubrique "secrets d'Histoire" ! Nous y apprenons l'abondance de ce premier courrier retour qui entraîne le départ de trois avions au lieu de deux. Aux commandes les pilotes Lécrivain et Denis, accompagnés de Collet et Dubourdieu qui rejoint son poste à Juby. Nous y apprenons comment l'escale technique de Villa Cisneros est supprimée d'un trait de plume par les Autorités espagnoles. Villa Cisneros qui devait, au même titre que Alicante, devenir, de par sa situation géographique médiane entre Casablanca et Dakar, l'escale pivot entre les équipes du Casa-Cisneros et du Dakar-Cisneros, du courrier "descendant" et du courrier "montant" ne sera plus... Et sera "remlacée" dans ce rôle par l'escale de Juby. Une difficulté supplémentaire. Nous y apprenons également l'ouverture commerciale de l'escale d'Agadir et l'arrivée sur le Casa-Dakar du pilote Henri Rozès.
ROBERT COLLET

Premier courrier
DaKsam
5 juin. — Devant l'abondance du courrier (110 kilos) des passagers et des bagages, je décide de faire partir 3 avions. 5h.30 d'essence.
6 juin.— Je pars en passager ainsi que le chef mécanicien Henriot. La préparation des avions nous oblige à coucher à Port-Étienne. J'ai fait l'étape Saint-Louis-Port-Étienne comme pilote, pour reposer Dubourdieu.
7 juin. — Nous quittons Port-Étienne au petit jour, et arrivons à Rio de Oro. Je fais repartir le courrier. Il prend du retard du fait de l'éloignement des avions. En effet, nous garions les avions au sud du fort et il faut rouler près d'un kilomètre et traverser le camp maure pour aller prendre le départ. Accueil très cordial du gouverneur. Il semble étonné de voir que Denis, Dubourdieu, moi et les avions, restions à Rio et me dit que l'accord n'est que pour les passages éventuels.
8 juin. — Installation. Le vapeur Fuerteventura arrive de Las Palmas avec les maisons en bois, de l'huile Veedol, tôles, etc... Interdiction de débarquer quoi que ce soit, même à la Compagnie de la Costa Africa. J'envoie un radio à M. de Massimi.
9 juin.— Suite de l'installation. Le Fuerteventura part à Port-Étienne avec toute sa cargaison et notre matériel. A 17h.35 atterrissage Rozès et Pivot. J'envoie les radios de situation ou plutôt je les remets au gouverneur qui me dit les envoyer immédiatement. Les avions ont apporté des lettres et des journaux au gouverneur et aux officiers. Tous semblent contents du passage des avions.
A 23h.45 un homme de garde vient me réveiller. Le gouverneur me demande à son bureau. Je m'habille et j'y vais. Il me dit qu'il vient de recevoir, à l'instant, un radio lui donnant l'ordre de ne rien garder à Rio à part la provision d'essence et que dans la journée du 10 nous devons évacuer complètement Cisneros. J'essaie de rester avec un mécanicien et deux avions en lui disant qu'ils sont indisponibles. Le gouverneur me dit que le cas est prévu et que les avions indisponibles seront démontés par les soldats du fort et mis en magasin. Il ajoute que nous avons avantage à exécuter cet ordre, ces avions continueront à atterrir et seront ravitaillés en essence et la ligne ne sera pas interrompue.
10 juin.— A 3 heures du matin, je réveille les mécaniciens et leur communique ce que j'ai décidé :
1° Les pilotes Denis et Lécrivain partiront au lever du jour emportant Cadamar et nos bagages. J'avais donné à Denis une note pour Deley lui disant si à 14 heures je n'étais pas arrivé à Port-Étienne de venir me dépanner.
2° Les avions 191 et 161 seront vérifiés et complétés avant 10 heures du matin. Les pilotes Rozès et Pivot les convoieront à Juby. Je donne à ces pilotes l'ordre d'attendre à Juby Daksam du 13 juin et de le mener à Casablanca.
3° Je partirai avec le 198, Henriot et l'outillage par Port-Étienne dès que tout sera prêt.
A 4 heures du matin, je réveille les pilotes, à 5 heures le courrier part. A 10 heures les avions de Rozès, Pivot et le mien sont prêts. A 10h.5, nous quittons Cisneros. A 12h.20, j'atterris à Port-Étienne.
Je reste à Port-Étienne jusqu'à l’arrivée des ordres. En attendant, j'aiderai Deley au dépannage des avions du Cap Timiris et du Cap Barbas. - Drouin cap Timiris 3 juin, Denis cap Barbas 10 juin, Lécrivain Cap Timiris 10 juin, et deux Saint Louis Drouin Lécrivain -
Le premier sera démonté et ramené en bateau, nous allons tenter de sortir le deuxième du sable et le ramener par les airs ici.
Nous allons conduire à Timiris les deux moteurs nécessaires. Cette expédition doit être dirigé par moi, étant données les difficultés de navigation aux abords du banc d'Arguin.
Les pêcheurs espagnols ne voulant pas venir de crainte des Maures, même à 300 pesetas par jour, nous avons engagé des pêcheurs maures (lmergan) habitués à ces parages.
Deux mécaniciens de l'aéroplace et le charpentier Sconer, habitués aussi aux abords de la baie du Lévrier, prendront part à ce dépannage.
Le pays est habité par une tribu soumise, dont je connais le chef.
Nous sommes assurés de son aide.
Nous avons deux embarcations :
1° Un fort canot à moteur et voiles.
2° Un fort canot de pêche breton a voiles.
COLLET.

JEAN DENIS
AERODROMES INCONNUS - ERMITAGES SANS NOM,
Souvenirs d’un peintre pilote de ligne
Le 6 juin, dans le sens Dakar-Casa, Jidé effectuait ce même courrier de retour comme coéquipier de Lécrivain. Malgré l’heure matinale où le soleil n’a pas encore eu le temps de réchauffer l’atmosphère, Jidé observa qu’il y avait, aux environs de 400 mètres, une couche de chaleur particulièrement éprouvante pour le moteur. Pénétrant dans cette couche légère, à peine visible, il voyait la température d’eau du radiateur augmenter immédiatement ; par contre, cette couche peu épaisse, vrai rideau de chaleur, à peine dépassée – mais jamais à pleine puissance – on pouvait sans trop grand risque pour le moteur prendre de l’altitude peu à peu. On avait tout intérêt à le faire lorsque c’était possible, car alors on trouvait très haut les contre-alizés qui, bien utilisés, réduisaient le temps de vol dans de notables proportions.
Ce premier courrier dans le sens Dakar-Casa s’effectua sans incident jusqu’à Port-Etienne et Villa-Cisneros où d’autres pilotes étaient chargés de le continuer jusqu’à Casablanca et Toulouse. Trois journées d’attente lui permirent d’avoir un contact plus familier avec le commandant du fort et sa famille. Il n’y avait là que des militaires (dont un médecin), la plupart étant mariés avaient avec eux leurs femmes. Il y avait également un chapelain. Jidé se trouvant là un dimanche assista à sa messe ; elle se célèbrait dans une pièce minuscule n’excédant pas deux ou trois mètres derrière l’officiant placé avec l’autel sur le mur du fond. L’assistance était composée des quelques femmes d’officiers, la tête couverte de la mantille, à la main l’éventail dont le bruissement était continuel. Un piquet de trois soldats en tenue étaient debout derrière. L’un d’eux tenait un clairon. Au moment de l’élévation où chacun se tenait silencieusement prosterné, d’un seul coup le clairon retentit à crever le tympan ! N’était-ce pas ainsi que sonnerait la trompette du jugement dernier ? Jidé s’égaya à cette pensée.
Le voyage de retour ne devait pas se passer sans incidents. Le vol de conserve s’effectuait à quatre cent mètres dans le vent favorable. Jidé avait demandé à son coéquipier, qui avait mission de le suivre, de se placer à sa gauche afin de ne pas être gêné par le soleil sur le parcours jusqu’à Port-Etienne, et d’ailleurs le mécanicien qu’il amenait avec lui pouvait également le suivre des yeux. Vers le Cap Barbas, à environ trente minutes de vol de Port-Etienne, la rupture de la canalisation d’essence mit fin au voyage pour Jidé. Le temps de battre des ailes – signe convenu – et de passer en virage devant et sous les ailes de son camarade, Jidé atterrissait au fond d’une sebkha dont le sol lui parut particulièrement favorable jusqu’au moment où il sentit l’appareil freiné par le sable, les roues s’enfoncer, la queue de l’appareil se soulever et heureusement retomber de même dans sa position normale. Jidé sauta à terre, s’empara d’un des pots fumigènes qu’il avait à bord, l’alluma puis regarda le ciel. Très loin, son camarade allait de long en large, mais n’avait pas l’idée de revenir sur sa route. Jidé était perplexe. Comment, se disait-il, ne peut-on pas voir à deux une telle fumée dans un désert où la moindre chose qui bouge attire le regard ? Dix minutes se passèrent, le fumigène s’était éteint, allait-il allumer le second ? Il ne le fit pas, sachant que Deley, alors chef d’escale à Port-Etienne, partirait à sa recherche et qu’il faudrait lui signaler sa présence. En attendant, il prit, toute prête, la musette pleine de vivres qu’il avait prévus, son arme, un Parabellum à canon long muni d’une crosse avec ses cinq chargeurs de dix balles de neuf millimètres , et une paire de jumelles. Ne voyant à l’horizon aucun être humain, il s’éloigna et monta sur une éminence voisine d’où il voyait l’avion et à perte de vue jusqu’à l’horizon du désert. Là, il pouvait attendre et voir venir. Alors il s’intéressa à des coquillages, il y en avait un peu partout ; cette terre que nul être au monde n’avait foulée avant lui depuis des temps immémoriaux avait sans doute été immergée. Il remarqua également que le vent soufflait sans faiblir comme sur une mer, il bruissait comme dans la mâture d’un navire et soulevait le sable jusqu’à mi-jambe. Songeant à son arme, il l’a préserva, ne tenant pas à la voir s’enrayer au moment de s’en servir ; de temps à autre il regardait le ciel vers le sud, car ayant calculé les temps des diverses opérations, il pensait qu’il ne tarderait pas à voir arriver Deley et surtout à l’entendre ; or, au même moment, le bruit d’un moteur lui fit lever la tête. Deley, parti à sa recherche, arrivait à sa verticale, se dirigeant vers le nord et, le vent venant de la même direction, ce n’est qu’arrivé à sa hauteur que Jidé l’entendit. Il courut près de son avion, alluma rapidement son second fumigène et presque aussitôt vit Deley venir vers lui ; quelques instants après, il se posait à ses côtés. Il avait à bord un mécanicien, mais le courrier devant être le soir à Dakar et cette pane ayant causé déjà un sérieux retard, il s’agissait de ne pas le retarder davantage. Remettant à plus tard le soin de dépanner l’avion de Jidé, ils prirent le courrier qui s’y trouvait et le transbordèrent dans celui de Deley. Ce dernier décollait aussitôt avec, le mécanicien et le pilote. Tous trois atterrissaient moins d’une demi-heure après à Port-Etienne où Jidé retrouvait son camarade un peu confus de cette aventure qui se terminait bien, mais influait fâcheusement sur leur possibilité d’arriver le soir à Dakar.
Les pleins terminés, tous deux mirent le cap sur Saint Louis. Afin de gagner du temps, ils traversèrent la baie du Lévrier pour éviter d’en faire le tour, ce qui les eût retardé. Jidé avait demandé à son camarade de prendre la tête, préférant le suivre. Vers le cap Timiris, il le vit rapidement perdre de son altitude et virer face au vent ; il vira avec lui et il atterrit à son côté dans la poussière soulevée par l’appareil de son camarade. Ayant facilement décelé la cause de la panne – radiateur éclaté – ils ne s’attardèrent pas et, abandonnant l’appareil, ils repartirent aussitôt. Il était essentiel de gagner Saint Louis avant la nuit, car dans ces pays il n’y a pas de crépuscule et la nuit tombe très rapidement. Lorsque le fleuve apparut enfin, beaucoup de lumières dans la ville scintillaient déjà comme des étoiles ; il était temps, il fallait atterrir sans tarder, le vent était tombé, le terrain, bien qu’encore visible, était déjà dans la pénombre. Jidé réduisit les gaz et allait atterrir, mais appuyant à fond sur la manette, celle-ci revint d’elle-même et s’ouvrit. Appuyant et la maintenant (le moteur n’avait pas de ralenti), il coupa le contact et frôla le sol, mais le moteur tournait toujours, l’avion ne se posait pas, il y avait auto-allumage ; alors, brusquement, il remit le contact et, avant qu’il ne soit trop tard, mit pleins gaz. Rapidement il prit un peu de hauteur et, détachant sa ceinture, s’avança sur son siège, plongea son bras sous le réservoir afin d’atteindre le robinet pointeau et ferma l’essence, seul moyen pour arrêter le moteur ; mais cette manœuvre, assez longue en raison du nombre de tours à faire exécuter au robinet, lui faisait plonger la tête vers la planche de bord, position qui ne lui permettait pas de vues extérieures, aussi était-ce un exercice délicat, quelque peu acrobatique. Dans un atterrissage que son camarade penché vers lui regardait avec une certaine anxiété, mais l’essence fermée, l’hélice enfin calée à la hauteur du hangar, l’avion se posa sans bruit dans la nuit qui devint compacte l’instant suivant. Ils ne distinguaient plus rien et ils durent attendre que le personnel vînt les chercher ; ce fût avec un fanal et guidés par les voix qu’ils virent apparaître mécaniciens et manœuvres qui les avaient attendus jusqu’à cette heure tardive. Ils n’avaient rien compris à la manœuvre. Ils passèrent la nuit à Saint Louis et gagnèrent au petit matin Dakar où on les avait attendus la veille.
COLLOT CORNU
Collot et Cornu sont deux auteurs aérophilatélistes renommés. Voici un extrait de leurs recherches.
9 Juin CASABLANCA - DAKAR
Ouverture de l'escale postale d'AGADIR.
Avions BREGUET 14 n° 161 F-AEEL et BREGUET 14 n° 191 F-AFAP.
Pilotes Rozès et Pivot jusqu'à Villa Cisneros.
Avions BREGUET 14 n 226 F-AFFG et BREGUET 14 n° 200 F-AFAZ.
Pilotes Lécrivain et Denis de Villa Cisneros à Dakar.
Le Breguet 200 piloté par Denis fait un atterrissage forcé à 40 km au sud du Cap Barbas et s'enlise dans le sable. A l'arrivée à Port-Etienne, Lécrivain donne l'alerte et Deley, chef de l'aéroplace, part à la recherche du Breguet 200. Lécrivain achemine le courrier à Dakar le 11 juin. L'avion sera dépanné le 12 juin par Collet sur Breguet 14 n° 198 F-AFAX.

DAKAR – CASA
2ème Partie
HOMMAGE AUX MECANICIENS
Le développement de cette "conférence Histoire" est très dense mais comment ne pas rendre un hommage appuyé à tous ces mécaniciens du Casa-Dakar. Comme le précise Joseph Kessel ; "Que serait la ligne sans les prodiges réalisés chaque jour par des mécaniciens d'élite". Et j'ajouterai "Abnégation", les lignes suivantes sont là pour en porter témoignage, par les souvenirs de Charles Bultel qui fut des leurs ; souvenirs parus dans la revue Air France "Présence" dans les années 1960 et, tirés du livre T.V.B de Pierre Viré, "L'énigme de la baie Saint-Jean". Pierre Viré dont nous reparlerons aux escales d'Almeria et Minorque. Rappelez-vous de notre journée, du Cap Barbas, du Cap Timiris et de la baie de Saint-Jean. Nous les avons survolés aujourd'hui. Alors, "Non à l'oubli"...
LA MALEDICTION DE LA BAIE DE SAINT – JEAN
Le 10 juin, nous avons déjà trois avions en panne dans le désert, celui de Drouin à Timiris, celui de Denis au Cap Barbas, celui de Lécrivain à Timiris également ; sans compter les deux Bréguet de Drouin et Lécrivain à Dakar et Saint-Louis. C'est cette histoire de tous ces dépannages que nous allons vous raconter.

CHARLES BULTEL
SOUVENIRS
REVUE PRESENCE D'AIR FRANCE
RENE ANGEL - JEAN CLAUDE NIVET
"Le succès de l'expédition hasardeuse du cap Barbas à la récupération de l'avion de Denis - voir le rapport Deley du 12 juin - donne à Deley et Collet l’envie de ramener les deux avions abandonnés au fond de la baie de Saint-Jean et au Cap Timiris,

La baie de Saint-Jean, encore appelée rivière Saint-Jean, n’est ni une baie ni une rivière. Il s’agit d’une zone marécageuse où l’océan et le désert se confondent, nature hostile où des bateaux, comme des humains, se sont englués et ont disparu à jamais. La mission est donc extrêmement délicate.
Pendant de longues journées, les deux pilotes examinent minutieusement la situation. A la mi-juin l’expédition est décidée : on essaiera d’atteindre la côte par la mer. Une embarcation à fond plat est donc louée fort cher à un trafiquant nommé Le Scour, pittoresque aventurier échoué là…

Deux mécaniciens se portent volontaires et, devinez qui ? Devillard et Henriot, sans doute ravis de l’adrénaline développée lors de la première expédition du premier Breguet. Les préparatifs vont bon train, la Ligne Casa-Dakar est vraiment bien préparée : deux moteurs Renault, un outillage sommaire, un matériel de levage rudimentaire, des vivres, de l’eau sont chargés dans l’embarcation. Le départ est fixé au lendemain matin. Un Maure, qui passe pour connaître la baie de Saint-Jean est désigné pour accompagner l’expédition et servir de pilote, de guide, d’aide, et au besoin d’interprète et de parlementaire.

Au matin, le Maure est absent. Après des recherches, retrouvé avec une profonde entaille à la cuisse. Celui-ci prétend avoir été blessé pendant la nuit. Son étrange attitude éveille les soupçons et, interrogé longuement, le Maure finit par avouer que l’endroit où l’équipe envisage d’accoster, fait de sables mouvants, est des plus dangereux…
Même les caravaniers l’évitent avec frayeur leur affirme-t-il.
Le piège de la baie de Saint-Jean est éventé à temps.
La rage au cœur, Pierre Deley et Robert Collet se résignent donc à abandonner cette idée. Et la consternation succède à l’exaltation de l’aventure. Ces anciens de 14-18 ne s’avouent pas vaincus. Il n’est de véritable succès que celui de reculer vers le possible les limites de l’impossible.

L’expédition est décidée sans l’accord de Toulouse. Tout sera fait, le cas échéant, pour que le refus de la Direction parvienne trop tard…
Le 7 juillet 1925 au matin, trois Breguet trop chargés, tentent le décollage de Port Etienne, sans succès. Alors, est débarqué le moins indispensable : les vivres ! Qu’un autre appareil ira ultérieurement leur apporter. Pilotés par Collet, Deley et Dubourdieu, les trois appareils emmènent vers la baie de Saint-Jean les deux mécaniciens accompagnés d’un partisan R’Guibat, ainsi que du matériel de dépannage et un moteur en pièces détachées !
Une fois atterri sur le sable près de l’appareil en panne, l’escadrille laisse tourner les moteurs pendant le déchargement. Une fois celui-ci réalisé, les trois pilotes redécollent pour Port Etienne, laissant Devillard et Henriot sur place.
Quand les avions ont disparu à l’horizon le destin des deux mécaniciens, au milieu de ce paysage lunaire de sable et de sel, est scellé… Malgré la sourde impression d’angoisse qui devrait les rapprocher, les relations entre les deux hommes se dégradent rapidement. Ils n’ont pas la même conception de leur travail.

Alors que Henriot est un bricoleur génial, intarissable d’astuces pour faire face à toutes les situations, Devillard est au contraire un artiste d’atelier, toujours soucieux des égards dus à la mécanique. A cause de la chaleur intense et de la grande luminosité ambiante, les travaux doivent être interrompus une grande partie de la journée. Par contre, la première nuit est passée à remonter – à la lueur de deux lampes tempête - le moteur qu’ils ont amené de Port Etienne en pièces détachées afin de répartir le poids sur les trois avions.
Le 9 juillet, après une nouvelle nuit d’efforts ininterrompus, le moteur avarié repose sur le sable et le moteur neuf est à poste, sur son berceau. Il ne reste plus qu’à rétablir les connexions et les raccords.
C’est aujourd’hui que les deux avions du courrier régulier qui montent de Dakar doivent passer et, sans s’arrêter, leur lancer les vivres et l’eau indispensables à leur survie. Scrutant le ciel dans une attente interminable, aucun bruit de moteur n’est perceptible. L’angoisse commence à poindre…Et si les secours n’arrivaient pas …
Enfin ils devinent un ronflement sourd, qui s’amplifie, progresse, s’amplifie, très haut dans le ciel. Oh malheur, Henriot et Devillard perçoivent les claquements assourdis de moteurs au ralenti. Mais, que font-ils ? L’un passe à leur verticale et atterrit droit devant, à trois cent mètres. Ils se précipitent et aperçoivent Emile Lécrivain, debout devant son avion et l’eau gicle en vaporisant du radiateur éclaté…

Et le deuxième appareil vient de se poser, Jean Denis saute de la carlingue en montrant, d’un geste désespéré, son radiateur percé lui aussi et fusant de la vapeur toujours. La scoumoune continue… Ce sont trois appareils de nouveau immobilisés côte à côte, en plein désert, frappés par une espèce de maléfice. Maintenant, avec l'appareil au sol au Cap Timiris, à près de 40 km, ce sont quatre avions en panne sur la côte désertique … Au petit jour suivant, le 10 juillet, le moteur de l’avion juste réparé est prêt à tourner. Mais, venant d’être refait en atelier à Toulouse, il est trop dur. Impossible de le lancer à la main.
… Le courrier est arrêté. Deux pilotes, deux mécaniciens, quatre avions et le courrier sont prisonniers sur la côte mauritanienne, avec ses dangers.
Au matin du 11 juillet, le soleil se lève de nouveau sur ce paysage désolé.
Inquiétude, lassitude et impatience se lèvent aussi…A l’horizon, rien de nouveau…
Vers quatre heures de l’après-midi, grande effervescence ! Un bourdonnement lointain est perçu, est-ce l’avion dépanneur ? C’est Deley qui vient à leur secours en convoyant un avion de Saint-Louis à Port Etienne. Puis, quelques minutes après atterrit l’avion du courrier « Daksam » emmenant comme passager Collet qui apporte un démarreur et deux bouteilles d’air comprimé afin de ramener un des Bréguet à Dakar, via Saint-Louis.

Un dramatique conciliabule est aussitôt entamé : Il y a maintenant 5 avions, dont un seul en état de vol, en plein territoire des R’Guibat. Les escales de Saint-Louis, Port Etienne et Cap Juby se sont littéralement vidées de leur personnel dans la baie de Saint-Jean.
Cette fois c’est bien la fin de la Ligne.
Si Deley ne parvient pas à rentrer cette nuit à Port Etienne avec son avion, emmenant le courrier et deux pilotes, la ligne est arrêtée faute de matériel et de personnel. Le risque est immense ! Une certitude, Deley ne pourra décoller en pleine chaleur avec sa surcharge, et son radiateur éclatera comme les trois autres. Le soir tombe. La nuit est noire. La lune ne se lèvera qu’à minuit.Le pilote tente le tout pour le tout. Vers minuit, avec un peu de lune, il décolle dans la pénombre à la lueur des feux d’essence.
Henriot et Devillard, seuls à nouveau en plein désert, écoutent décroître ce ronronnement sur lequel repose tout l’espoir de la Ligne. Mais, que se passe-t-il ?
Surpris, ils l’entendent anormalement se prolonger dans les ténèbres …
Hein, on dirait qu’il revient…

Percevant même les claquements du ralenti, il se passe quelque chose de grave.
Bientôt ils entendent l’avion passer au-dessus de leur tête pour atterrir…
Déjà ils ont rallumé deux feux d’essence, bondissant comme des fous pour rallumer rapidement les autres.Inutile de décrire la scène, terrible, l’angoisse, l’attente d’un terrible fracas ou d’un embrasement peut-être…
Interpellations dans la nuit, conciliabules d’interlocuteurs invisibles
Deley renseigne Henriot et Devillard : « Il y a des retours persistants au carburateur ». Les deux mécanos escaladent la carlingue, reçoivent quelques précisions complémentaires des trois pilotes. Ils décapotent le moteur en se brûlant les mains aux tubulures d’échappement. Dans le faisceau d’une lampe de poche ils ont tout de suite repéré la cause de l’incident : un galet de culbuteur est cassé et la soupape d’admission est restée ouverte. Toute la nuit, nos deux mécaniciens, bien qu’épuisés, s’activent une nouvelle fois pour remettre le moteur en état le plus rapidement possible. Les minutes sont précieuses. Au petit matin du 12 juillet, la réparation est terminée et les trois pilotes peuvent enfin repartir pour Port Etienne. Peut-être arriveront-ils ? Que se serait-il passé sans la merveilleuse science du pilotage de Deley ? Nul ne peut l’imaginer…
En cette nuit du 11 au 12 juillet 1925,
la Ligne Casa-Dakar est sauvée.
Quant à nos deux mécaniciens, leur supplice continue.
Malades, affamés et assoiffés, Henriot et Devillard subissent un véritable calvaire en parcourant à pied et à dos de chameau les quarante kilomètres qui les séparent de l’avion abandonné par Gourp, le 3 juin dernier près du cap Timiris.

Par chance, ils découvrent de l’eau et quelques provisions dans l’appareil presque intact. Le 18 juillet, enfin, Jean Denis et Emile Lécrivain assurant le courrier « Daksam » amènent sur place Robert Collet et Léopold Gourp avec du matériel.

Le lendemain, les deux pilotes assurent le convoyage du Breguet réparé et celui de la Baie de Saint-Jean sur Saint-Louis et Dakar. Tout en rapatriant Henriot et Devillard enfin délivrés de la solitude du désert.
« Que serait la Ligne sans les prodiges réalisés chaque jour par des mécaniciens d’élite ». Joseph Kessel.
Dans son ermitage de Port Etienne, Pierre Deley, secondé par les mécaniciens Dupas, Devillard, Henriot et Sirvin, poursuit la mise en place de l’infrastructure de l’aéroplace.

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