RTSL 01.10.2025 OUARZAZATE
- Jean-Claude Nivet

- Aug 11
- 16 min read
Updated: Sep 3
RTSL 2025
OUARZAZATE
DAKAR - CASA

Cap Juby et les Hommes Bleus, gouache de Philippe Mitschké. Fondation Latécoère.
MARCEL REINE
Première captivité
Bienvenus à Ouarzazate, les paysages changent sur notre Rallye Toulouse-Saint-Louis ; et les choses aussi changent au Rio de Oro et à Juby en particulier. Le colonel Bens, trop favorable aux Français, pour Madrid, est remercié après plus de vingt années de service et est remplacé par le colonel de La Peňa. L'ambiance n'est plus tout à fait la même ... Mais Madrid ne va pas jusqu'à demander le départ des Latécoère ... En effet, depuis juin, depuis les premières semaines du Casa-Dakar, les Français et les Espagnols ont uni leurs forces contre les quelques 60 000 guerriers lancés par Abd el-Krim.

La ligne tourne maintenant depuis près de six mois, les courriers se succèdent et le courrier arrive à l'heure, enfin presque ... Certes Dubourdieu s'est accidenté dans le bled en juillet, souvenez-vous ; mais sans conséquences pour sa personne, juste un Bréguet XIV de perdu, comme il nous le raconte ! Là, en cette fin d'année, l'évènement est beaucoup plus grave. Ce jour là les deux avions du courrier volent de conserve, accompagnés exceptionnellement d'un troisième piloté par Joly, le chef d'aéroplace d'Agadir. Pivot transporte un passager de marque, le Comte Henri de La Vaulx, en tournée-conférence en Afrique. Quand arrive la panne de son coéquipier Marcel Reine. Nous sommes le 21 décembre, au sud d'Ifni. Lisons le rapport du chef d'aéroplace de Juby, André Dubourdieu :

SUR LA PANNE DE M. REINE AU SUD D'IFNI
André Dubourdieu
Cap Juby, le 23 décembre 1925.
Le 21 décembre à 15 h. 30, le pilote M. Pivot, passager, M. le Comte de la Vaulx et le pilote M. Joly, passager-mécanicien Seguela, arrivent Juby ; M. Reine, resté en panne au sud d'lfni.
Le lieutenant-colonel Don Guillermo de La Peňa y Cusi nous proposa d'envoyer sur les lieux un Maure de la tribu des S'Bouia sur le territoire de laquelle avait atterri M. Reine. Cet indigène offrait les garanties nécessaires, ayant sa famille et quelques biens à Juby ; il a nom Mohamed Moulud. Nous décidâmes de l'emmener par avion le plus près possible du lieu de la panne.
Mohamed Moulud était envoyé aux chefs des S'Bouia par le lieutenant-colonel porteur d'une lettre de lui, rappelant le travail pacifique de notre ligne, avec mission de se procurer chameaux et tout le nécessaire pour ramener le pilote à Juby, le lieutenant-colonel prenant tous frais de caravane et autres sous sa responsabilité. Le chef de la tribu viendrait également pour parler avec le délégué qui, sachant qu'avec les Maures ces questions-là se règlent avec de l’argent, les informait de ne point entamer de pourparlers, mais de ramener d'abord le pilote le plus vite possible, étant bien entendu, que la ligne devant continuer à survoler ces régions et le cas pouvant se reproduire, il entendait avoir de bonnes relations avec les indigènes et se bien comporter avec ceux qui se comporteraient bien.
Le lieu de la panne se trouve dans l'enclave espagnole d'lfni.
Le 22, à 9 h. 30, tenant compte des heures de marée pour arriver à marée basse et avoir plus de plage atterrissable, nous partîmes avec deux avions. M. Joly emmenant le Maure qu'il devait déposer; le mécanicien Seguela et le Maure Gregorio dans mon avion.
Après avoir accompagné M. Joly et assisté à l'atterrissage et au décollage qui se firent normalement sur la plage, je regagnai Juby, ne pouvant démunir l'aéroplace d'avions et ma présence y pouvant être utile cependant que M. Joly rentrait à Agadir. Je ne vis aucune trace de l'avion détruit.
Cent cinquante pesetas furent remises Mohamed Moulud ainsi qu'une lettre pour Reine contenant 5 000 pesetas. Ce Maure ayant demandé depuis longtemps à être engagé comme interprète sur la ligne, nous lui avons promis cet emploi s'il s'acquittait bien de sa mission.
Les bagages de M. le Comte de la Vaulx qui se trouvaient dans l'avion de M. Reine ont peu de chances d'être retrouvés.
Cap Juby, le 23 décembre 1925.
Le chef d'aéroplace :
A. DUBOURDIEU.

Après la lecture du rapport de Dubourdieu, apprécions le récit de J.G. Fleury sur cet "épisode", très intéressant.
J.G. FLEURY
LA LIGNE
Jusqu'à la fin de l'année 1925, les courriers circulèrent régulièrement. Souvent l'un des deux avions se trouva en panne. Les consignes furent strictement observées : atterrissage de fortune, recherche d'un terrain propice pour le deuxième appareil, dépannage et départ immédiat. La virtuosité des pilotes, l'adresse des mécaniciens rendirent ces manœuvres presque normales, et il ne s'en suivait que des retards légers.
A Dakar, le courrier de Casablanca, dont le transport durait cinq jours par la voie maritime, parvenait maintenant en vingt-quatre heures.
On prend vite l'habitude du progrès.
Le 21 décembre, à 7 h. 30 du matin, deux avions courriers avaient quitté Agadir, lourdement chargés de lettres et de présents de Noël. Lorsque à Dakar il n'en parut qu'un seul, ce fut un vif désappointement. Les destinataires, mécontents, apprirent que le deuxième appareil piloté par Marcel Reine, avait disparu.
Voici ce qui s'était passé. Après le départ d'Agadir et un vol d'une heure vingt, le régime du moteur baissa brusquement et des fumées sortirent du capot. Reine s'apprêta à faire demi-tour. Il n'en eut pas le temps : un bruit de ferraille, un claquement sec, c'était la panne.
— Agrippe-toi bien, cria Reine à El Homic ben Ahmed, l'interprète chleu qui l'accompagnait.
Ils avaient dépassé Tiznit, Aglou, et se trouvaient dans la zone habitée par les Abania, en pleine dissidence de l'extrême Sud-Marocain.
Contact coupé, et extincteur ouvert, Reine qui, au moment de l'accident, volait à une altitude de 800 mètres, chercha en vain une surface propice : le col était couvert de roches abruptes, et le seul terrain qui fut plat était hérissé d'euphorbes et d'épineux géants.
Partout des groupes de gourbis arrondis, semblables à des touffes de champignons, révélaient des villages et des hameaux. Le pilote orienta son vol plané vers la région la moins peuplée. Le sol montait à toute allure. Au moment où l'appareil atterrissait, une barrière solide de cactus arracha le train d'atterrissage et le reste de la carlingue se disloqua un peu plus loin.
Reine se retrouva loin de son siège, affalé sur le coffre à courrier de l'aile. El Homic était déjà sur pieds, rectifiant avec tranquillité les plis de sa gandourah blanche d'Arabe des villes, et ne s'étonnant de rien, puisque cet incident méprisable de sa vie terrestre était écrit depuis longtemps dans le grand livre d'Allah.
— Ben, mon petit père... dit le pilote, un gamin de Paris au visage rose et presque puéril, aux yeux rieurs, aux cheveux blonds et souples, qui, tout au long d'une carrière héroïque, parfois tragique, ne s'est jamais départi de sa bonne humeur.
Puis il proféra l'exclamation invariable qui lui servait en toutes circonstances pour exprimer, tantôt la colère, tantôt la joie, tantôt l'inquiétude, tantôt la sympathie, tantôt l'étonnement :
— Ah ! les vaches...
Il n'y avait rien à faire : la machine était détruite ...
Le coéquipier, voyant son compagnon en difficultés, tournait au-dessus de lui. Reine lui fit signe de poursuivre sa route et d'emporter le courrier.
Puis, enlevant ses vêtements de vol, il dit à El Homic :
— Il faut se dépêcher, mon vieux copain. Ça ne sera pas commode d'arriver à Tiznit.
Le Chleu qui, naguère, avait travaillé comme manœuvre aux usines Renault de Billancourt, et qui, indifférent à notre civilisation, était revenu avec son pécule vivre selon la coutume des ancêtres, entendait parfaitement le langage du Parisien. A ce moment, deux hommes apparurent au détour d'un sentier.
Gardez l'avion, leur dit l'interprète, vous serez bien payés.
Puis se tournant vers Reine, il remarqua :
C'est vrai, nous n'avons pas de temps à perdre. En route. Ils n'avaient pas franchi deux kilomètres que des hommes armés de poignards et de gourdins surgirent entre les haies de cactus, suivis de femmes hurlantes et d'enfants déguenillés.
El Homic se précipita vers eux, et avec la volubilité de sa race, rappela les accords d'Aglou. Il leur promit une récompense s'ils laissaient la vie sauve au roumi, fit appel aux parentés lointaines qui lient tout fils d'une tribu à ceux d'une autre peuplade.
Il fut écouté froidement. De tous les villages d'alentour, des hommes vêtus de burnous bleus accouraient et, à mesure que leur nombre croissait, la cupidité des premiers arrivants s'inquiétait. Il faudrait partager les dépouilles entre trop de mains.
Soudain un exalté tira son poignard et en frappa El Homic. Assez de discours, cria-t-il, finissons-en.
Quelques-uns braquèrent leurs fusils, d'autres, plus pratiques, assommèrent Reine à coups de poing, lui arrachèrent sa veste, son gilet, se disputèrent sa montre, ses clefs, ses pièces de monnaie, son mouchoir.
El Homic subit le même traitement.
— Dis-leur qu'il y a de l'argent dans l'avion, cria Reine, reprenant ses sens et se débattant.
Le mot argent eut un effet magique. En un instant, tous disparurent dans une course effrénée. Seuls, trois jeunes gens qui paraissaient plus curieux que hostiles s'attardèrent auprès des captifs. El Homic s'adressa à eux, leur promit une forte rançon, et les supplia de prêter un costume arabe à son compagnon. Les trois chleus se consultèrent. L'un d'eux enleva son turban, en coiffa Reine, et lui passa son burnous.
— Nous allons vous conduire chez notre père, il décidera, fit-il.
En cours de route, leur petit groupe croisa une foule de gens attirés par la chute de l'appareil et qui se hâtaient dans l'espoir d'un pillage.
— L'avion est chargé d'or, leur criait El Homic
au passage, en cachant sa blessure. Dépêchez-vous, il en reste un peu.
A cinq kilomètres de là environ, les cinq hommes arrivèrent à une grande casbah blanche. C'était la demeure d'Ahmed Bouchaîa, vénérable et riche propriétaire qui déclara à ses enfants : — Vous avez bien fait ...
Vieillard avisé, il savait que la France était puissante et qu'elle finissait par avoir le dernier mot un jour ou l'autre.
Tandis qu'il calmait les curieux accourus pour voir le roumi et qu'il leur offrait tasse de thé sur tasse de thé, il discuta âprement la rançon avec El Homic :
— Je libérerai ton compagnon contre 20.000 francs.
— 5.000 ! protesta l'interprète.
Les palabres se poursuivirent jusqu'à la nuit.
Parfois, un fâcheux rappelait l'incident du mois de juillet où Ville et Rozès avaient tué des Musulmans.
— C'est parce que les vôtres avaient tiré les premiers, faisait expliquer Reine, nous n'avons aucun intérêt à vous tuer…
— Ni vous non plus à nous massacrer, ajoutait-il prudemment.
Sur ces entrefaites, les fils de Bouchaia étaient parvenus à faire monter les propositions d'El Homic jusqu'à 8.000 francs. Mais à ce palier, ils n'arrivèrent plus à s'entendre, les uns acceptaient, les autres refusaient.
— Nous irons trouver le califat demain, dirent-ils, il tranchera le différend.
Le lendemain était un mardi. Après avoir mal dormi sur le sol de terre battue, Reine et son hôte allèrent examiner l'avion qui n'était plus qu'une carcasse.
Quand ils revinrent au village vers sept heures du soir, un homme les rejoignit :
— Je suis Mella-Aini, envoyé du califat, dit-il au vieillard. Il m'a donné ordre de vous verser 200 douros et d'amener le roumi chez lui.
Cette nouvelle, aussitôt répandue, souleva des murmures dans la tribu.
— Et nous, on ne nous donne pas d'argent ? Nous nous opposerons au départ...
Au cours de la nuit, El Homic tira Reine de son sommeil et chuchota :
— Mella Aïni a décidé de partir avant le jour pour éviter tout incident.
Sans bruit, ils enfourchèrent des chevaux et précédés du messager s'éloignèrent vers la montagne.
Après deux heures et demie de marche, ils débouchèrent dans un cirque où s'abritait une maison cossue.
Le califat Ahmed s'avança à leur rencontre.
Avec un sourire affable, il offrit du thé à son otage.
— Il faut attendre, lui dit-il, j'ai envoyé des émissaires à Tiznit.
En réalité, il avait mandé un homme chez son chef, le sultan bleu de Kerdous dont le royaume insoumis s'étendait jusqu'à l'oued Draa.
Le jeudi s'écoula sans que Reine pût être fixé sur son sort. Mais il sut ce soir-là que ses compagnons de la ligne travaillaient à le sauver. Un Maure voilé, monté sur un chameau descendit dans le cirque rocheux. Il arrivait de Juby et tendait une lettre de Dubourdieu et de Cervera qui demandaient à leur camarade d'indiquer où il se trouvait.
De son côté, le capitaine Rousselle avait agi. Dans la nuit, le bruit d'une troupe de chevaux réveilla Reine. El Homic bondit dans la cour.
— Ce sont cinq chefs envoyés par le caïd d'Aglou pour te chercher, s'écria-t-il.
— Ah ! les vaches ! s'écria Reine en se frottant les mains. A ce moment, il entendit la clef grincer dans la serrure. Il se précipita, secoua en vain le loquet. Ils étaient enfermés.
— Ah ! les vaches ! répéta-t-il, mais cette fois sur un autre ton.
A l'aube, le califat vint ouvrir :
— Tu es libre, et tu peux partir avec les cheikhs du caïd d'Aglou, dit-il d'une voix mielleuse.
Le vieux bandit avait discuté jusqu'au jour, attendant le secours du sultan bleu, mais les menaces des envoyés du puissant chef d'Aglou avaient produit leur effet ; il libérait son hôte, moyennant 4.500 francs, après un long marchandage pendant lequel il avait jugé prudent d'enfermer son captif.
La journée du vendredi fut une marche heureuse, coupée d'arrêts dans les casbahs des chefs et d'offrandes de couscous et de tasses de thé.
Le soir, Reine, El Homic et les messagers couchèrent chez le cheik Boiaïs des Ait Ban. Le caïd d'Aglou, insigne honneur, les avait rejoints avec une escorte de 17 cavaliers, et le samedi, leur cortège devint triomphal. A Aglou, les chefs dissidents baisèrent l'épaule de leur compagnon et le confièrent à quatre guerriers soumis et au fidèle El Homic, épanoui malgré sa blessure.
Lorsqu'il aperçut les murs crénelés de la ville forte de Tiznit et le capitaine Rousselle qui accourait au-devant de lui, Reine murmura doucement :
— Ah ! les vaches !

Je vous présente maintenant quelques extraits du rapport du capitaine Roussel, Officier français en charge des affaires de police. Le capitaine Roussel nous donne des indications très précises sur le lieu d'atterrissage d'urgence, à proximité de la côte à mi-chemin environ entre Areksis et Assaka à l'embouchure de l'oued Noun. Il nous décrit un très beau portrait de ce jeune pilote Marcel Reine : "... il est de mon devoir de vous signaler la belle conduite de ce jeune pilote qui n'a eu aucun geste malencontreux et qui est demeuré constamment maître de lui. Après quatre longues journées de fatigue et d'angoisse, M. Reine est arrivé avec un moral élevé." Et, en conclusion : " ... Maintenant, les tribus étaient aux aguets, ils pouvaient croire que l'âge d'or était revenu, et peut-être n'étaient-ils point seuls à s'en réjouir.
"A s'en réjouir", quel est le sens de ces sous-entendus, le capitaine Roussel vise-t-il les Espagnols et indirectement la concurrence allemande ? :
TERRITOIRE D'AGADIR
RAPPORT OFFICIEL
Le 28 décembre 1925.
Voici les conditions dans lesquelles a été réglé l’incident soulevé par l'atterrissage accidentel d'un avion Latécoère en territoire dissident, le lundi 21 décembre.
Le 21 décembre, le chef du Bureau de renseignements du territoire m'ayant téléphoné à 19 heures pour me communiquer le télégramme que M. Joly, chef de l'aéroplace d'Agadir vous avait adressé du cap Juby par T. S. F. et pour me faire connaître que vous me laissiez toute initiative pour intervenir, je pris immédiatement les dispositions suivantes :
1° J'envoyai un émissaire au cheikh El Hassan ben Mohamed d'Aglou pour le prier de se rendre de sa personne aux S'Bouia où les renseignements que vous aviez reçus paraissaient situer l'incident et de mettre en œuvre tous les moyens dont il disposait pour se faire remettre le pilote et son interprété indigène et les ramener à Tiznit dans le plus bref délai ;
2° J’envoyai un émissaire au caïd Ayad ben Mohamed Jerrari pour lui demander d'user de toute son influence auprès du cheikh Saïd ben Lahoucine el Khomsi pour le même objet dans le cas où l’appareil appuyant vers l’est à la recherche d'un terrain propice aurait atterri sur les confins de son commandement des Aït Khome (Aït Ba Amran) ;
3° J'envoyai un brigadier du Maghzen de Tiznit originaire des Aït Ioub (Aït Ba Amran) voisins des S'Bouia « en permission » dans son pays en lui donnant pour instructions de feindre l'ignorance, de se garder de toute intervention mais de se mettre aux écoutes et de me renseigner au jour le jour, ce qu'il fit, par la suite, avec beaucoup d'intelligence et ponctualité...
... Le 22 au matin, M. Joly , chef d'aéroplace d'Agadir, de retour du cap Juby, m'apprit par téléphone qu'il avait atterri le matin même à quelque distance du lieu de l'accident pour y déposer un indigène originaire des S'Bouia qu'il avait pris à son bord au cap Juby et que le commandant du poste espagnol avait accrédité auprès des indigènes des S'Bouia.
L’appareil piloté par M. Reine ayant à son bord l'indigène Lhassan ben Moha el Bou Bekri faisant office d'interprète, avait atterri le 21 à proximité de la côte à mi-chemin environ entre Areksis (emplacement des anciens établissements Curtis) et Assaka (embouchure de l'oued Noun). L'appareil qui dut se poser sur un terrain parsemé de touffes d'euphorbes et de jujubiers fut sérieusement endommagé à l’atterrissage. M. Reine et son passager qui étaient indemnes virent aussitôt de nombreux indigènes courir vers eux de toutes les directions. Ils menacèrent tout d'abord de leur faire un mauvais parti. Pour se donner de l'air, l'indigène Lhassen ben Maha après leur avoir jeté quelques pièces de monnaie hassani qu'il portait sur lui, leur cria qu'il y avait de l'argent dans l'appareil. Ils abandonnèrent aussitôt le pilote et son passager qu'ils avaient d'ailleurs complètement dépouillés et se précipitèrent sur l'avion dont ils entreprirent aussitôt la démolition. Quelques indigènes plus raisonnables, en profitèrent pour entraîner M. Reine qu'ils camouflèrent, en lui donnant un burnous et une rezza, ainsi que son Compagnon. Ils le conduisirent chez eux au lieudit Tadihint dans la fraction des Id Ali ou Ameur une quinzaine de kilomètres de là. Ils les y traitèrent bien. Le mercredi 23 décembre, au matin, un Mokhazeni de Sidi Athman, le Kalifa que Merrebi Rebbo entretient aux S'Bouia dans la maison qu'il habitait lui-même à l'époque hibiste, vint les chercher pour les conduire chez son maître dont la demeure se trouve à Aoutboud non loin du souq et Tleta des S'Bouia. Un cheval fut mis à la disposition de M. Reine pour faire cette étape d'une dizaine de kilomètres.
Sidi Athman avait acheté leurs prisonniers aux indigènes qui avaient arrêté le pilote et son passager pour la somme de 200 réaux... A Aoutloud M. Reine fut très bien reçu par Sidi Athman qui lui déclara qu'il lui faudrait attendre là les instructions du « Sultan » qui seul pouvait décider de son envoi à Tiznit ou de son transfert à Kerdous...
... M. Reine, qui du local où il était enfermé avec son interprète avait entendu toute la nuit le va-et-vient des cavaliers et le bruit des discussions orageuses auxquelles les pourparlers avaient donné lieu fut alors conduit auprès du cheikh El Hassan à El Anouafi. Après que tous les assistants eurent récité la fatha, le cheikh d'Aglou et ses amis se mirent en route pour Tiznit. Ils déjeunèrent à Anameur chez le caïd Ahmed Ould El Caïd Bachir et couchèrent aux Aït Ikhleffe chez si Aissa ben Athrnan. Le lendemain 26 décembre ... arrivèrent à Tiznit à 18 heures. Le retour fut très gai, l'accueil avant été partout très cordial...
... Pour conclure, un pilote français ayant atterri accidentellement en territoire dissident à 120 kilomètres de Tiznit le 21 décembre a été ramené le 26 à Tiznit sans aucun dommage et aux moindres frais. C'est à la collaboration dévouée des chefs indigènes confiants et bien en main que nous devons cet heureux résultat. Il convient d'en reporter sur eux tout le mérite.
Le cheikh El Hassan s'est particulièrement distingué. Aux moments difficiles de l’été dernier, je vous al dit à plusieurs reprises la confiance qu'il m'inspirait. Il m'est très agréable de vous le rappeler au moment où il vient de justifier si brillamment la bonne opinion que j'avais de lui...
... J'estime enfin que la conduite de Mokhazeni interprète de M. Reine, Lhassen ben Moha el Bou Bekri mérite d'être récompensée. Cet indigène a rempli sa mission avec beaucoup de dévouement, protégeant le pilote au cours de l'échauffourée qui suivit l’atterrissage et demeurant fidèlement à ses côtés par la suite, bien qu'à différentes reprises on lui ait offert de lui rendre sa liberté. Cette attitude mérite tout au moins l'octroi d'un Dahir de satisfaction.
Enfin, s'il ne m'appartient pas de formuler une proposition en faveur de M. Reine, il est de mon devoir de vous signaler la belle conduite de ce jeune pilote qui n'a eu aucun geste malencontreux et qui est demeuré constamment maître de lui. Après quatre longues journées de fatigue et d'angoisse, M. Reine est arrivé avec un moral élevé.
Il ne pense qu’à reprendre son service au plus tôt. Modeste et courageux, il a donné à tous ici comme en zone dissidente le spectacle d'une jolie crânerie bien française. C’est avec une grande satisfaction que je lui rends un hommage mérité.
Signé : ROUSSELLE.
Dans cette aventure, les bagages du Comte de la Vaux, passager de Pivot, risquaient de n'être jamais retrouvés car les pillards se revendent généralement entre eux leurs rapines; néanmoins, plusieurs émissaires s'offrirent d'aller à leur recherche chez les S'Bouia.
Ce fut l'émissaire Abdesselam El M'Tougui qui fut désigné; mais il nous revint les mains vides et nous rendit compte de sa mission par le rapport qui suit :
Traduction.
LOUANGE A DIEU SEUL
Il n'y a de durable que son empire.
Signé : ABDESSALEM EL M' Tougui.
P.-S. —- Les gens les plus considérables de cette région ont été entretenus par moi de l’intérêt qu'ils auraient à tenir la main à ce qu'il ne soit pas nui aux avions qui viendraient tomber dans la région. Quant aux autres plus simples, je leur ai simplement représenté le bénéfice d'argent qu'ils retireraient de leurs bons procédés. Le notable le plus considérable de la région est le caïd Madani.
Salut.
Ce fut notre poste militaire de Tiznit qui récupéra les conférences et trois films destinés à les illustrer que le comte de la Vaux emportait dans ses valises et dont les Maures n'avaient sans doute point trouvé à faire monnaie.
Maintenant, les tribus étaient aux aguets, ils pouvaient croire que l'âge d'or était revenu, et peut-être n'étaient-ils point seuls à s en réjouir.
Combien se trompaient ceux qui pensaient que de tels contretemps ralentiraient notre zèle.
Aéroplace d'Agadir.
Signé : ROUSSELLE.









